3 ans après l’incendie qui l’a en partie détruite, Notre-Dame est en pleine renaissance.
Plus de 150 compagnons sont mobilisés pour la restaurer.
L’édifice a tout d’abord été stabilisé grâce à de puissants cintres en bois placés sous les voûtes fragilisées.
Dans la nef, les piliers encrassés et couverts de poussière de plomb sont en cours de nettoyage.
Prochaine étape du chantier, à la croisée du transept, un nouvel échafaudage de près de 100m de haut va bientôt être érigé pour permettre la reconstruction de la flèche qui s’est effondrée.
Avant le lancement de cette opération, l’État a prescrit une fouille sur une surface de 123m² sous la houlette de Dorothée Chaoui-Derieux, du service régional d’archéologie.
« Nous sommes ici dans le cadre d’une opération d’archéologie préventive.
À l’origine de cette opération, la maîtrise d’ouvrage, donc l’établissement public Notre-Dame, et la maîtrise d’œuvre, les architectes, nous ont fait part du projet qu’ils allaient mettre en œuvre pour reconstruire l’échafaudage qui allait servir à la reconstruction de la flèche. Il se trouve que dans ce projet initialement prévu, il était prévu de terrasser, au niveau de la croisée, sur une surface d’environ 120m², de terrasser sous le niveau de dallage sur une épaisseur de 40cm environ.
La loi Notre-Dame qui a été votée en juillet 2019 prévoit que pour les fouilles d’archéologie préventive menées dans le cadre du chantier de sécurisation et de restauration, l’Inrap est donc l’opérateur des différentes opérations. Il fallait une équipe d’archéologues pour mener à bien cette fouille avant le remontage de l’échafaudage, parce qu’une fois que l’échafaudage sera là et la flèche reconstruite, ce secteur-là ne sera plus jamais accessible avant des décennies, voire des centaines d’années.
Nous avons donc prescrit une fouille préventive qui a été réalisée par l’Inrap sous la direction de Christophe Besnier qui, depuis le 2 février, avec toute son équipe, est incroyable sur cette fouille. Voilà. »
Cette fouille, qui devait s’étaler sur 5 semaines, a permis de révéler dans un premier temps ce radier en pierre et ces calorifères.
Créées au XIXe siècle par Viollet-le-Duc, ces canalisations en brique servaient à chauffer la cathédrale par le sol.
C’est en dégageant les remblais de ces calorifères que les archéologues ont découvert ce vestige : un sarcophage anthropomorphe en plomb qui pourrait dater du Moyen Âge.
C’est une des très belles découvertes de ce chantier.
Au début de la fouille, on a juste pu dégager la tête et les pieds parce que ça se situait en bord de creusement des calorifères et ce sarcophage était surmonté par le radier.
Donc on a eu l’autorisation de démonter le radier empierré pour pouvoir dégager le sarcophage en plomb.
Les éléments stratigraphiques montrent a priori qu’il est scellé par des remblais du milieu XIVe siècle, donc a priori, il est antérieur.
Mais jusque-là, les sarcophages retrouvés au sein de Notre-Dame datent de l’époque moderne.
Donc il faut aussi s’assurer de sa chronologie pour vraiment comprendre complètement.
Il y a les petits sacs plastiques recouverts de terre parce qu’il y a des perforations anciennes. Il a été un peu fissuré, il est un peu altéré en partie haute.
Du coup, afin d’éviter que l’oxygène rentre plus, on a colmaté de cette manière ces trous.
Par contre, la présence de ces trous nous a permis d’insérer une caméra endoscopique et on a pu voir en direct un petit peu à l’intérieur.
On voit clairement des touffes de cheveux, peut-être même des restes de peau au niveau du crâne, du textile… Du textile, on en a.
Et surtout, ce qui atteste très bien de l’état de conservation de ce qu’il y a à l’intérieur, c’est qu’il y a un tout un tapis de végétaux au niveau de la tête.
Le fait que ces végétaux soient restés conservés montre que le reste du défunt, son habit, doit être aussi tout à fait bien conservé.
On espère pouvoir le dégager très rapidement pour peut-être identifier, éventuellement, la personne dedans. »
Qui repose dans ce sarcophage ?
À en juger par son emplacement dans la cathédrale, il s’agit certainement d’une personnalité de haut rang.
Car au Moyen Âge, Notre-Dame, comme toute cathédrale, était une nécropole.
Il était d’usage d’inhumer à proximité du chœur certains dignitaires.
La fouille a d’ailleurs révélé de nombreux caveaux en pierre et en plâtre.
En bordure de l’emprise de fouille, les archéologues ont fait une autre découverte majeure : des dizaines de fragments de sculptures sont en train d’être mis au jour, à seulement quelques centimètres de la surface.
« On a toute une zone qui apparaissait en plans très perturbés, avec beaucoup d’éléments en vrac, et surtout, rapidement, on s’est rendu compte que c’était beaucoup d’éléments peints et sculptés, avec une facture qui rappelait les éléments sculptés du XIIIe siècle, et avec beaucoup de polychromie, dont encore des traces de feuillage, de feuillage à l’or, etc.
Et après un nettoyage plus complet en plan, on a vu qu’il y avait beaucoup d’éléments sculptés et qu’en fait, on a identifié un creusement dans lequel ont été remblayés ces différents éléments. »
Plusieurs dizaines de fragments ont été découverts. Ils appartiendraient au jubé du XIIIe siècle.
Dans l’architecture gothique, cette cloison richement décorée séparait le chœur, réservé au clergé, de la nef, où se réunissaient les fidèles.
Il en existe encore quelques exemples en France, notamment à Albi.
Démolis au XVIIIe siècle, les fragments de ce jubé ont été enfouis dans le sol de Notre-Dame.
« Souvent, à l’époque moderne, à partir du XVIIIe siècle, ils ont voulu ouvrir l’intérieur des églises et détruire ces jubés.
Et après, le fait de les détruire et de les enfouir sur place, c’est un phénomène qui a pu être observé dans la cathédrale de Lyon, à Bourges et à Reims.
Il y a à la fois la destruction de choses plus anciennes, mais peut-être aussi un certain respect de vouloir l’enfouir sur place et de considérer le caractère sacré malgré leur destruction. Ce sont des découvertes exceptionnelles. »
Ces découvertes, l’architecte en chef Philippe Villeneuve les suit avec la plus grande attention. Il est chargé de conduire les travaux de restauration de la cathédrale.
« Ce qu’on voit là, c’est vraiment une sculpture d’une très grande finesse. Les barbes, les visages, sont d’une expressivité incroyable. C’est vraiment du très, très beau XIIIe. Et surtout, il est polychrome. Viollet-le-Duc, quand il a fait ces tranchées, pour faire les calorifères qu’on voit ici, il s’est contenté de faire des tranchées.
Évidemment, il a prélevé ce qu’il trouvait sur son chemin et c’est pour ça qu’on a aujourd’hui des éléments de ce jubé qui sont déjà conservés au Louvre, mais pas polychromes.
Les nôtres sont plein de couleurs. Il y a du bleu, du rouge, du doré, du noir… Il y a une très belle polychromie.
Notre-Dame va, une fois qu’ils auront prélevé ce qu’on pourra prélever dans les temps qui ont été impartis… Ça continuera à être étudié sous toutes leurs coutures par des chercheurs, des historiens, des sculpteurs…
Ça va être des données scientifiques jusqu’à présent inconnues. Donc c’est effectivement le côté positif de ce chantier. Tout ça, ce sont des champs d’investigation pour les chercheurs qui n’auraient jamais eu lieu s’il n’y avait pas eu cette catastrophe. Et donc effectivement, à chaque chose, malheur est bon, on peut dire que Notre-Dame de Paris nous offre, malgré cette catastrophe, des joies comme celles-ci. »
Chaque soir, les fragments du jubé découverts dans la journée sont provisoirement rassemblés en lieu sûr sur le parvis de la cathédrale, avant d’être stockés dans un lieu adapté à leur étude et à leur conservation.
« Il y a quelques éléments qu’on a sortis justement de cette zone de rejet de fragments sculptés. Avec deux têtes absolument magnifiques.
Là, par exemple, on a une jolie peinture rouge et on voit encore des traces de peinture à la feuille d’or sur ce décor végétal.
Voilà, on a ça aussi, qui est très, très chouette, c’est quand même assez exceptionnel.
Donc ça, ça représente peut-être une lampe. Là, on a du rouge, il reste du bleu. Les autres fragments où il y avait de la peinture bleue, c’est un lapis lazuli d’une excellente qualité.
Juste sous le niveau de sol de Viollet-le-Duc. Donc à quelques centimètres de profondeur, il y avait ces trésors. C’est une vraie surprise. Tellement inédit et exceptionnel.
Avril 2022
Quelques semaines plus tard, après le temps de la découverte, vient celui de l’évacuation des vestiges.
Parmi tous les fragments du jubé mis au jour, les plus gros pèsent plus de 300 kg.
Impossible de les prélever à la main. La grue du chantier a donc été réquisitionnée pour les évacuer par les airs.
« L’évacuation des blocs est impressionnante. Elle peut se faire uniquement à la grue.
Pour pouvoir faire rentrer la grue dans Notre-Dame, il faut ouvrir ce qu’on appelle le parapluie, un système de bâches qui a été installé au niveau de la croisée, là où la voûte s’était effondrée.
L’ouverture du parapluie ne se fait que sur une certaine largeur qui est finalement assez étroite.
Donc le grutier, qui ne voit rien mais qui communique au talkie-walkie, doit vraiment viser de manière très précise.
C’est toute une logistique à mettre en place en amont pour prévoir les choses,
faire en sorte que la fouille s’arrête à ce moment là. Et tout se passe à merveille, comme à chaque fois. »
« Je suis à 300, 320 kg, plus ou moins. »
« 320 kg. On croirait pas, comme ça. »
« Il y en a encore au moins 6 ou 7. Mais des très beaux. Et il y a encore des gros blocs à évacuer. On va les évacuer en début d’après-midi, ou demain matin, au centre archéologique, pour qu’ils soient dans de bonnes conditions. »
Le sarcophage, lui, est toujours en place. Il devrait être levé d’ici quelques jours, puis transporté dans un laboratoire pour pouvoir être ouvert et fouillé.
Cette opération clôturera cette campagne de fouilles qui aura duré 9 semaines.
Une fois le sarcophage déplacé, cette surface sera entièrement comblée pour lancer la construction du nouvel échafaudage.
Philippe JOST Directeur général délégué de l’EPRNDP
« C’est des discussions passionnantes avec les archéologues, à savoir d’une part, rendre possible des fouilles, et d’autre part, quand on va combler tout cela, assurer la réversibilité de ce qu’on va mettre ici pour assurer le comblement.
Réversibilité, ça veut dire qu’évidemment, on va pas couler du béton. Ce serait certainement le plus costaud, mais on va plutôt employer du sable et de l’argile, comme ça, lorsque nos successeurs ré-interviendront un jour, à cette croisée du transept, ils n’auront qu’à retirer du sable et de l’argile.
Une fois qu’on aura égalisé le sol ici, on aura un sol à peu près stable et plan, mais on va installer ce qu’on appelle un radier, c’est-à-dire une structure en bois, des grosses poutres en bois, qui vont accueillir l’échafaudage de reconstruction de la flèche et répartir les masses dans le respect des couches archéologiques qui sont en dessous.
Très important. La réversibilité, mais aussi ne pas endommager les couches archéologiques qui n’ont pas encore été fouillées.
C’est bon, Fayçal, tu peux monter. »
« La fouille, pour la phase terrain, va se terminer à la fin de la semaine, mais finalement, c’est que le début d’une belle aventure. Il y aura le rapport d’opération qui devra être rédigé par Christophe et par toute l’équipe. Donc au moins 2 ans d’étude.Pour justement encore une fois comprendre, à partir des relevés, des coupes, des photos, le site. Et puis il y a toute l’étude de ce fameux jubé du XIIIe siècle, dont on va étudier le répertoire iconographique, la sculpture, la polychromie, et essayer de faire un remontage, sans doute pas un remontage à blanc, mais numérique, donc les blocs vont sans doute faire l’objet d’un scan 3D et on va essayer de formuler des hypothèses sur ce jubé, et sur sa configuration au moment où il était en place dans la cathédrale.
Je pense que les 2, 3, 4 prochaines années vont être très riches en résultats scientifiques. Ça ouvre de très belles perspectives. »